Si la dyslexie est de mieux en mieux connue et prise en compte, elle reste encore très souvent synonyme de parcours du combattant pour les élèves concernés et leurs parents, une source de souffrance à l'école et de tensions à la maison. Parfois assimilées à de la paresse ou de la négligence, les difficultés de l'élève dys en lecture et en écriture ne sont pourtant nullement liées à un manque d'intelligence ou de travail. Il s'agit en effet d'un trouble du neurodéveloppement dont la prévalence est évaluée par la Haute Autorité de Santé (HAS) à près de 8% des enfants d'âge scolaire. (1)
Joëlle BOTTEMANNE, ancienne institutrice aujourd'hui logopède ("orthophoniste" en France, "logopède" en Suisse et en Belgique) et formatrice au Centre Pluridisciplinaire À contre Pied à Binche en Belgique, nous apporte de précieux éclairages sur la nature de ce trouble, son diagnostic et sa prise en charge.
Joëlle, pouvez-vous nous expliquer ce que sont précisément la dyslexie et la dysorthographie ?
Actuellement, nous parlons de troubles neurodéveloppementaux. À l'intérieur de ceux-ci se trouve le trouble spécifique des apprentissages. Cette appellation recouvre la dyslexie, la dysorthographie mais également les troubles de la compréhension écrite, de l'expression orale ou de l'arithmétique (DSM-5).
La dyslexie se caractérise par des problèmes à identifier rapidement et précisément des mots écrits et d'accéder à la compréhension de ceux-ci. La difficulté de compréhension seule ne constitue pas un critère de dyslexie.
La dysorthographie se concentre sur des difficultés orthographiques phonologiques (analyser et convertir des sons en lettres) et/ou lexicales (répertoire orthographique de mots).
Qu'est-ce qui amène les parents à venir vous voir avec leur enfant ? Ont-ils un doute personnel ou sont-ils orientés vers vous par les enseignants avec un soupçon de dyslexie ?
Les deux cas de figure peuvent se présenter. Certains parents détectent rapidement que l'entrée dans le langage écrit est fastidieuse pour leur enfant et souhaitent réaliser un bilan dès les premiers signes pour éviter que la problématique en lecture ne se répercute sur les apprentissages. Il arrive aussi que l'un des parents s'identifie aux difficultés que son enfant rencontre.
Parfois, c'est le professeur de l'enfant qui détecte les signes et qui alerte les parents pour que cette compréhension ne constitue pas un obstacle aux apprentissages.
Pouvez-vous nous expliquer comment se passe le diagnostic de dyslexie et sur quoi il se base ?
Nous allons tout d'abord réaliser une anamnèse complète en discutant avec les parents pour connaître le développement du patient et évaluer certains critères comme la persistance du trouble par exemple. Cette étape va nous permettre également de détecter d'autres symptômes qui pourraient exclure la dyslexie/dysorthographie en tant que trouble primaire. En effet, le terme "trouble spécifique" des apprentissages" signifie que la dyslexie/dysorthographie est primaire et non secondaire à quelque chose. Par exemple, les enfants ayant une dyspraxie visuo-spatiale vont avoir des difficultés en lecture. Le trouble primaire est donc la dyspraxie visuo-spatiale et les difficultés sont donc une conséquence.
Nous allons ensuite faire passer des tests standardisés pour évaluer les divers domaines de la lecture (phonologie, décodage, fluence, compréhension...) et de l'orthographe (jugement lexical, correction de phrases...) Il est important d'évaluer le langage oral en parallèle car il est possible dans certains cas que la problématique initiale vienne de ce domaine.
Lorsque l'anamnèse et les tests sont effectués, nous allons croiser tous les éléments pour tendre vers une piste diagnostique. Si certains éléments de l'anamnèse le nécessitent, nous inviterons les parents à réaliser un bilan chez d'autres thérapeutes spécialisés.
Pour poser un diagnostic de dyslexie/dysorthographie, plusieurs critères sont nécessaires :
- des difficultés persistantes depuis au moins 6 mois malgré une aide familiale ou scolaire ;
- des performances déficitaires démontrées à l'aide de tests standardisés dans au moins un domaine de la lecture ou de l'orthographe et démontrer que les difficultés affectent le quotidien du patient ;
- les difficultés d'apprentissage doivent être manifestes dès les premières années scolaires, bien que le DSM-5 admette la possibilité d'un diagnostic tardif, notamment chez les individus capables de masquer leurs troubles grâce à des stratégies compensatoires ;
- les difficultés repérées ne doivent pas être la conséquence d'une autre pathologie ou d'une circonstance environnementale.
Comment se déroule un suivi et quels sont les objectifs ?
La première étape du suivi sera la psychoéducation du patient et des parents. Pour pouvoir élaborer une stratégie thérapeutique, il est nécessaire que chacun comprenne le trouble et les conséquences de celui-ci au quotidien. Sans compréhension, il ne peut pas y avoir d'adaptations.
De manière simultanée, une démarche est entreprise pour entrer en contact avec l'enseignant du patient. L'objectif est de lui expliquer le trouble, de détailler le plan d'intervention et de mieux appréhender le fonctionnement de la classe ainsi que les obstacles auxquels le patient peut être confronté. Chaque profil de dyslexie/dysorthographie est singulier et chaque approche sera ajustée en fonction. Lorsque le trouble est compris, il est intéressant de déterminer des objectifs à atteindre avec le patient et sa famille afin de préserver la motivation et d'avoir une vision globale de l'évolution. Ceux-ci sont déterminés en fonction des difficultés ciblées dans le bilan, des objectifs personnels du patient, du cadre familial et de la réalité scolaire. Ils sont donc propres à chaque patient.
Lorsque le plan thérapeutique est élaboré, nous nous lançons dans la rééducation avec le patient. Il sera important que celle-ci soit des plus explicite et que des outils personnalisés soient mis en place afin d'être transférés dans la scolarité du patient. Une fois que les objectifs déterminés au départ sont atteints, nous mettons un terme au suivi ou nous déterminons de nouveaux objectifs.
Est-ce qu'un travail pluridisciplinaire peut être utile pour l'enfant ?
Une approche pluridisciplinaire sera utile dès le départ pour poser un diagnostic. Il est par exemple parfois nécessaire d'avoir l'avis d'un.e neuropsychologue pour analyser le QI ou les fonctions exécutives. Nous pourrions aussi, dans certains cas, avoir besoin d'un bilan orthoptique pour analyser le balayage visuel. Dans d'autres circonstances encore, le point de vue d'un.e psychologue sera intéressant si des problèmes psycho-affectifs sont très prégnants.
Dans le cadre de difficultés de lecture ou d'orthographe secondaires à une autre pathologie, le travail pluridisciplinaire est essentiel car la compréhension globale du profil du patient est déterminante pour une évolution positive. Les différents intervenants pourront partager les informations liées à leur prise en charge pour établir un plan d'action cohérent et complémentaire.
Quels sont les leviers pour qu'il soit réussi ?
Pour la réussite d'un travail pluridisciplinaire, la communication est la clé. Il est donc intéressant de pouvoir prévoir des échanges ou des réunions afin de faire le point, d'expliquer les outils et de déterminer des objectifs à atteindre ensemble. Ponctuellement, il est intéressant d'inclure les parents dans cette réflexion. Les intégrer à la démarche thérapeutique leur permettra de mieux comprendre et d'aménager leur quotidien de manière adéquate.
Comment l'enfant est-il marqué par son expérience parfois désastreuse de l'école ? Quel impact cela peut-il avoir sur lui ?
Dans l'idéal, nous espérons intervenir avant que la situation ne devienne désastreuse. Malheureusement, certains patients ont un parcours difficile et il est alors important de travailler l'estime de soi et le sentiment d'efficacité personnelle lors de nos séances avec lui. Petit à petit, si nous formons une équipe avec les parents et l'école, nous pourrons améliorer la situation grâce aux outils et aux aménagements personnalisés. Certains patients peuvent traverser des phases délicates durant l'année scolaire car ils fournissent beaucoup d'efforts pour des résultats faibles. Il faut alors les accompagner avec bienveillance et leur accorder des pauses pour recharger leur batterie.
Concrètement, quelles sont les aménagements pédagogiques que vous pouvez être amenée à recommander en classe ?
Ayant été enseignante avant d'être logopède, je connais la pression administrative et la charge mentale liées à cette profession. Je propose donc, au départ, une mallette d'aménagements généralisables que le professeur n'a plus qu'à imprimer. Je lui propose de mettre celle-ci à disposition dans la classe pour tous les élèves. Ceci évite de stigmatiser le patient en particulier. Certains aménagements sont bénéfiques à tous les enfants (ex : cache de lecture, pictogrammes...). Par la suite, j'explique à l'enseignant que je vais construire avec le patient des outils sur mesure pour aménager son quotidien scolaire (procédures). Ceux-ci seront travaillés durant les séances et seront ensuite introduits en classe lorsque le patient sera capable de les utiliser seul. Il est important de savoir qu'un aménagement s'entraîne. Donner du temps supplémentaire à un enfant n'a aucun intérêt si celui-ci ne sait pas quoi faire pour le mettre à profit.
Le professeur, même s'il a quelques connaissances sur le sujet, n'est pas un expert en dyslexie/dysorthographie. Lui donner une longue liste d'aménagements non ciblés ne portera pas ses fruits. La plupart du temps, cette liste ne sera d'ailleurs pas mise en place. Si la psychoéducation du patient, des parents et de l'enseignant a été réalisée, certains aménagements se feront plus naturellement. La logopédie vient alors compléter la panel d'outils avec quelques aménagements personnalisés travaillés en amont.
Les parents sont fortement sollicités pour accompagner leurs enfants, quel conseil pourriez-vous leur donner ?
Mon conseil serait de faire partie de l'équipe et de s'intégrer à la mise en place des outils et des aménagements mais en gardant le rôle de parent. Parfois, j'observe des parents qui refont cours à la maison ou éprouvent des difficultés pendant les devoirs, ce qui peut entraîner des tensions familiales. Ces moments deviennent parfois source de stress. Il peut être plus bénéfique de relâcher un peu la pression, de signaler simplement au thérapeute ou à l'enseignant si un exercice s'avère difficile. Ainsi, vous évitez les conflits potentiels et confiez l'apprentissage aux personnes ressources.
Rencontrez-vous des enseignants ? Et si oui, quelles problématiques et besoins vous soumettent-ils ?
Je discute régulièrement avec des enseignants. La première problématique est qu'ils ne sont pas toujours formés aux troubles des apprentissages. Certains se sentent donc démunis et ne perçoivent pas quels sont les aménagements possibles dans leur quotidien scolaire. Ces enseignants ont donc besoin de comprendre le trouble en priorité.
D'autres ont le sentiment que les aménagements demandés constituent une tâche de plus sur la pile des tâches à effectuer, et ceci dans un contexte de groupe composé de plusieurs enfants à besoins spécifiques. Ces professeurs doivent donc être accompagnés en leur proposant des aménagements généralisables à toute la classe, combinés à des outils personnalisés mais que le patient pourra utiliser en autonomie. Ceci, associé à de la psychoéducation, pourra l'amener à cheminer sur l'adaptation au quotidien.
Un grand merci, à vous Joëlle, d'avoir accepté de répondre à nos questions et de nous avoir ouvert la porte de votre travail avec les dys pour une meilleure
compréhension du trouble !
(1) : voir l'article de la Haute Autorité de Santé : vers un parcours de santé gradué et cordonné
Auteure : Claire Legendre et Joëlle Bottemanne. Tous droits réservés.
© ClaireLearning - 09 mars 2024
Crédit photo : Photos Joëlle Bottemanne et Claire Legendre, tous droits réservés.
Design graphique : Claire Legendre avec Canva.
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