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Le TDA/H (3) : l'expérience et le regard de la neuropsychologue Laura BERTLEFF

Laura BERTLEFF est neuropsychologue, formatrice et fondatrice de Learning Brain à Thuin en Belgique. Dans sa pratique elle est amenée à rencontrer des enfants et des jeunes atteints d’un trouble du déficit de l’attention, leur famille et aussi leurs enseignants. Elle partage ici avec nous son expérience dans la prise en charge de ce trouble ainsi que son regard de neuropsychologue passionnée et attentive.

Propos recueillis le 03 novembre 2023 et publiés avec l'aimable autorisation de l'intéressée.


Qu'est-ce qui pousse les parents à consulter ? Quelle est leur plainte principale ?

 

La demande initiale ne vient pas toujours des parents. L’école peut avoir une suspicion de quelque chose, mais il arrive aussi que ce soit eux qui se doutent d’un trouble. Il y aura alors une démarche diagnostique TDA/H. Quand la demande des parents n’est pas spontanée et qu’il s’agit d’une demande tierce (l’école), et que l’on  va quand-même chercher à savoir si les parents en ont une, celle-ci peut être différente. Leurs demandes peuvent être diverses : que leur enfant soit heureux, qu’il soit plus autonome, qu’il ait plus confiance en lui, qu’il gère mieux ses émotions. Il arrive que l’école ait une suspicion de dyspraxie ou d’attention, mais cela ne correspond pas à la demande des parents. La leur touche souvent l’autonomie, la confiance en soi, les émotions. Ils souhaitent mieux comprendre leur enfant, l’aider au mieux, qu’il soit plus autonome, scolairement ou à la maison, qu’il se concentre mieux.

Comment faire pour que l’enfant ou le jeune s’engage activement dans un suivi et progresse ? Dans ta pratique, as-tu constaté des leviers ?

 

Pour que le patient s’implique dans la prise en charge, je pense que plusieurs choses sont importantes, également valables pour les parents. Tout d’abord  la psycho éducation, qui consiste à amener du sens, de la compréhension dans le fonctionnement de l’enfant, dans ce que va apporter le suivi. C’est en tout cas ce que l’on vise. Concrètement, une fois le diagnostic TDA/H posé, on explique ce qu’est le trouble, son origine, comment il peut évoluer avec le temps.

 

Je pense qu’il est fondamental aussi d’aller demander au jeune quelle est sa motivation. Par exemple, dans une séance cadre en méthode de travail où je défais les fausses croyances et où j’explique ce qu’est la méthode de travail et ce que ce n’est pas (je ne suis pas professeur particulier, je ne vais pas réexpliquer les cours), je demande au jeune quelle est sa motivation en expliquant : “On a mis en place un suivi, tu vas apprendre des choses à mettre en place dans ta vie”. C’est extrêmement intéressant de poser cette question-là et que les parents entendent la réponse. J’avoue que je la pose seule à l’enfant. Ce n’est pas pareil, un jeune qui dit : « Je suis motivé à 9/10” — c’est quand même une sacrée motivation ! — et un jeune qui déclare : “Je suis motivé à 5-6/10.” Il est essentiel que les parents connaissent cette réponse, car même si le parent est motivé à 12/10 pour que son enfant  ait une meilleure méthode de travail, cela ne semble pas être le cas du jeune. On ne  peut pas faire de miracles en tant que thérapeute, ni remettre l’église au milieu du village, ni porter la non-motivation d’un jeune ; on peut toutefois essayer de l’aider dans cette motivation.

 

Par ailleurs, ce qui est capital pour nous ne l’est pas forcément pour l’enfant. Ainsi une jeune pourrait dire : “C’est ma lenteur qui me pose le plus de problème, ou mes oublis”,  tandis que d’autres diront : “C’est ma mémorisation”, et d’autres encore :  “Gérer mes émotions”… Mais comme le trouble touche les fonctions exécutives, il fait tache d’huile. Il impacte tellement de sphères, surtout quand l’enfant est plus âgé,  qu’il  faut savoir ce qui est, en réalité, le plus important aux yeux de l’enfant lui-même. Ce n’est peut-être pas la même chose que pour les parents, à nouveau. Et ce qui pourrait nous sembler prioritaire, à nous thérapeutes, est encore différent. Mais nous avons quand-même notre rôle de professionnels à jouer ! Par exemple, un jeune qui s’active plus sera davantage son propre chef d’orchestre, aura plus confiance en lui, sera mieux dans sa peau, ce qui va entraîner chez lui un raisonnement plus rapide, moins de lenteur.  Par conséquent, il est utile d’expliquer les liens entre les symptômes et pourquoi on va travailler tel ou tel point en premier.

Comment se déroule un suivi et combien de temps dure-t-il ?

 

Au début, il est important de mettre en place un cadre pour créer la collaboration et l’alliance, et de prévoir des moments pour défaire les fausses croyances.  En effet, l’enfant peut penser par exemple que certaines techniques de mémorisation fonctionnent bien pour lui alors qu’en réalité elles sont inopérantes. Nous faisons des exercices qui lui permettent de se rendre compte que de ce qu’est la mémoire, la mémorisation, comment elle fonctionne, et des méthodes qu’il utilise très souvent mais qui ne fonctionnent peut-être pas.

 

Pendant le suivi, je suis tantôt dans une philosophie de stimulation des fonctions pour essayer de diminuer les symptômes, tantôt dans du contournement et de l’adaptation. Stimuler, automatiser, entraîner : tel est mon travail. Ce qui nous guide, c’est d’être conscients de nos choix et de nos actions. Il n’y a pas de souci si les parents n'arrivent pas à appliquer certaines choses ou si l’enfant n’utilise pas les outils vus en séance, mais il faut qu’ils aient tous conscience de cela et de l’impact de leur  choix. Et c’est OK. On n’est pas dans la tête de l’enfant et on ne peut pas se substituer aux parents. Il faut lâcher prise. On accompagne, on lâche prise.

 

Le but n’est pas de bousculer leur paradigme de pensée, leurs croyances, leurs valeurs culturelles et familiales, mais plutôt de leur apporter la connaissance qui leur manque, et de voir ce qui bouge ou ne bouge pas. On essaye par exemple de sensibiliser une maman, dont la valeur est de prendre soin de ses enfants et de tout faire pour eux, au fait que toute fonction cognitive a besoin d'être stimulée pour qu'elle puisse se développer, et que si l'enfant fait les choses davantage par lui-même, cela permettra de stimuler cette fonction dont il aura besoin dans la vie pour générer des idées, se mettre en parole et en action. On peut expliquer à la mère que si c'est elle qui le fait, c'est peut-être au détriment d'autre chose. Mais cela reste son choix. Pour aider les parents à réguler les interactions avec leur enfants, j’utilise la méthode CPIM (Child-Parent-Interregulatory-Method)2  de Gabriela Pérez-Acevedo (2016). Je n’aime pas l’attitude frontale, je préfère être un caméléon, une main de fer dans un gant de velours, m’adapter à la personne qui est devant moi. Le suivi va être très différent d’une famille à une autre parce que chaque famille est différente.

 

Quant à la durée du suivi, elle est variable. Certains durent quatre séances ou d’autres quatre mois. En tout cas, lorsque le suivi dure depuis un moment, il faut refaire une mise au point : faut-il par exemple revenir à un point qui était en ligne de base au début ? Refaire un inventaire (questionnaire) tel que la BRIEF3 ou la Brown4 qui sondent les fonctions exécutives au quotidien pour voir sur quoi axer la suite ? Il se peut par exemple que l'initiation ou l’organisation aillent mieux mais que d’autres points restent problématiques.  L’objectif est de voir ce qui a bougé au fil des séances, ce qui a porté ses fruits, ce qui a progressé. Il est parfois utile de remettre un cadre, de refaire le point sur ce qui compte pour la famille.

On parle beaucoup des enfants et des adolescents, mais qu’en est-il des étudiants ?

 

Avec les étudiants, on est dans des suivis plus courts, au rythme d’une séance par semaine, puis un peu plus vite espacé. On est vraiment dans du fonctionnel, soit des adaptations et des contournements, soit des stratégies en méthode de travail et applicables dans la vie. Je fais pas mal de thérapie ACT* avec plus de métacognition pour aider à dissocier le mental et les émotions et à décider quelles actions entreprendre.

Je sais que le rôle des parents te tient très à cœur. Peux-tu dire comment tu l’envisages ?

 

Le travail avec les parents est primordial ! Je trouverais triste de choisir de passer directement au contournement et à l’adaptation alors qu’on peut encore stimuler les fonctions exécutives. Et si l’on stimule le jeune seulement pendant la séance, on est en train de diminuer ses chances de progresser, parce qu’on ne donne pas les moyens pour qu’il y ait une stimulation de certaines fonctions à la maison.

 

Par conséquent, travailler avec les parents est essentiel. Ceux-ci ne sont pas forcément des spécialistes, ils font du mieux qu’ils peuvent avec les ressources qu’ils ont : l’amour qui est souvent là, leur disponibilité et leurs propres fonctions exécutives car c’est difficile  pour eux aussi d’être flexibles, de changer leur interaction avec leur enfant. Ce n’est pas évident de défaire la relation quasi “automatisée” que l’on entretient avec son enfant. Il y a parfois des limites qu’on ne peut pas dépasser.

 

Je pense qu’il est essentiel de tenir compte de l’identité de la famille, du contexte, qu’il soit socio-économique ou intellectuel, et des valeurs familiales. Le but en tant que thérapeute n’est pas d’imposer mes valeurs. Nous voyons les choses en termes d’éducation en tenant compte de leurs valeurs,  afin qu’ils aient les informations nécessaires et fassent des choix éclairés. Et s’ils n'arrivent pas à changer leur interaction ou à laisser leur enfant être plus autonome, parce qu'ils préfèrent faire eux-mêmes, c’est un choix conscient, étant donné qu’ils ont connaissance des fonctions exécutives et de l’activation. Le but est de préserver et d’augmenter le sentiment de compétence parentale et non de le diminuer en les culpabilisant. Dans ce travail que l’on fait avec les parents, il faut veiller à adopter une certaine posture, à créer une alliance en amont avec eux à partir de ce qui compte pour eux.

Dans ta collaboration avec les enseignants, quelles sont les demandes les plus fréquentes de la part des professeurs ?

 

Les demandes des enseignants portent sur l’agitation surtout en primaire,  l’aide à la concentration, à la compréhension notamment des consignes, la mémorisation et à la motivation, notamment pour les ados, et également sur les compétences de haut niveau : savoir transférer et faire des liens. Dans le secondaire le manque de travail revient souvent.

Dans ta pratique, tu vas aussi à la rencontre des enseignants, dans la classe et auprès des équipes pédagogiques. Comment faire pour que l’élève TDAH trouve sa place au sein d’une classe et que ses besoins soient pris en compte par l’équipe enseignante ?

 

Je ne pense pas qu’il y ait un secret mais qu’il est important que l’élève se comprenne et qu’il y ait une acceptation de sa part, tout comme de la part de l’enseignant. En effet, ce dernier peut avoir une réticence s’il n’a pas toutes les informations. On peut lui apporter les connaissances nécessaires pour qu’il comprenne les adaptations demandées. Inversement, ces adaptations répondent à ses propres observations et à sa demande. On ne met pas des adaptations sur un trouble, mais on essaye de pallier les retentissements que le trouble ou les difficultés du jeune ont sur le plan scolaire, sur sa manière d’être en tant qu’élève et de suivre les cours. Pour cela on discute avec l’enseignant des retentissements pour les diminuer ou les contourner.

 

Toutefois avant de lui dire ce qu’il faudrait faire pour cet élève, il est  préférable d’aller à la rencontre de sa réalité d’enseignant et de créer une alliance avec lui. Car il  éprouve probablement des émotions telles que de la souffrance, de la colère ou de la tristesse. Son métier n’est pas facile, les classes sont nombreuses, et chaque enfant a ses besoins spécifiques. Il faut d’abord repérer et valider ses émotions en lui disant : “Je vois que ça vous énerve, c’est compliqué, je comprends. Ça doit être difficile d’enseigner.” C’est une validation émotionnelle, qui provient de la thérapie ACT2. On ne questionne pas la légitimité de ce qu’il ressent. Il en est de même avec les parents. Par exemple, à une maman qui serait anxieuse pour l’avenir de son enfant, il est nécessaire de lui dire : “Je vois que ça vous préoccupe ; je comprends que ce n’est pas évident, on a envie de faire au mieux pour notre enfant.”

 

Un grand merci, Laura, d’avoir accepté de répondre à ces questions et d’avoir apporté la richesse et l’éclairage de ton savoir et de ton expérience !

 


1. Méthode CPIM Gabriela Pérez-Acevedo (2016).

2.Thérapie ACT : thérapie d’engagement et d'acceptation.

3. La BRIEF (Behavioral Rating Inventory of Executive Function) : outil d’évaluation et de dépistage des difficultés exécutives et de leurs répercussions dans la vie quotidienne. Elle porte sur la régulation et le contrôle cognitif, émotionnel et comportemental chez les enfants de 5 à 18 ans.

4.La Brown : les échelles Brown permettent d’évaluer les fragilités ou les troubles des fonctions exécutives et/ou attentionnelles chez un jeune.

 

 

Auteure : Claire Legendre. Tous droits réservés.

© ClaireLearning - 23 novembre 2023

Crédit photo : Photo libre de droit Pixabay . Design graphique : Claire Legendre avec Canva.

 

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