La classe à la maison s’est mise en place dans l’urgence, et comme toute expérience inédite confrontée à la réalité, elle se heurte constamment à des obstacles auxquels il faut imaginer parades et solutions dans l’improvisation. Celles-ci sont parfois difficiles à mettre en œuvre, voire inexistantes. Bien qu'indispensable et conçu au mieux, le concept même de classe délocalisée au sein des foyers a dévoilé rapidement ses imperfections et ses pièges.
Alors que certains familles parviennent peu ou prou à s’organiser, elle apparaît pour d’autres comme un voeu pieu de l’institution, entre défi permanent et épreuve, voire mission impossible. Pour la faire exister, elle requiert de la part de tous les acteurs concernés des talents inédits et des trésors d’organisation et d’inventivité.
Apprivoiser les outils
Enseignants et parents ont été confrontés dès le départ à une multitude de difficultés partagées. Chacun de son côté s’est d’abord évertué à surmonter des problèmes techniques pour se connecter et entrer en contact. La saturation des plateformes Internet de l’Éducation Nationale n’a pas facilité les choses ; apprivoiser les outils numériques a été le défi suivant.
Si les enseignants ont dû apprendre à se servir massivement et rapidement d’outils d’enseignement à distance, un certain nombre d’entre eux se sont aussi improvisés conseillers en informatique pour leurs élèves et leur ont appris à maîtriser les tâches indispensables : relever le courrier, ouvrir un fichier, enregistrer, envoyer… Le mythe du « digital nativ » en a pris un coup.
Pour les parents, la pêche aux
devoirs a été une aventure en soi : ils ont appris à naviguer plus que jamais dans les ENT, entre messagerie et autres rubriques. Les problèmes techniques se présentent à nouveau une
fois les devoirs faits. À défaut d'ordinateur, l'appareil photo des smartphones a rendu bien des services.
Des inégalités révélées
Ce fut l’occasion de prendre collectivement conscience des inégalités qui existent sur le territoire français en matière de connexion Internet, comme de la grande disparité en équipement informatique et dans son maniement. Toutes les familles ne disposent pas du haut débit, d’ordinateur ou d’imprimante. En cela la classe à la maison s'est avérée une grande injustice. Le Ministère a donc étudié la possibilité de nouer un partenariat avec la Poste pour envoyer les cours et devoirs en version papier. À l’heure où le courrier n’est distribué que trois jours par semaine, cette solution est loin d’être idéale. Des appels aux dons sont localement lancés pour équiper les familles ainsi que les structures d’accueil et foyers hébergeant des jeunes exclus de la classe virtuelle.
Un temps à structurer
Construire le temps scolaire à domicile n’a pas été si évident qu’il y paraît. On a d'abord pensé à calquer la présence en ligne sur l’emploi du temps de l’établissement. Cette idée s’est vite avérée impossible, l’ordinateur étant à partager d'une part entre les membres d’une même fratrie, et d'autre part entre enfants et parents qui télé-travaillent.Ces derniers ont dû prendre leurs marques pour instaurer des rituels et planifier la journée en tenant compte de multiples contraintes. Les délais des enseignants entrent parfois en conflit avec les impératifs familiaux (le grand frère ou la grande sœur qui doit s’occuper des plus petits, par exemple), avec les exigences des employeurs, le planning de travail ou de télétravail des parents. Respecter les délais pour rendre les devoirs n’étant pas toujours possible, il a fallu en appeler à la compréhension des professeurs.
Pour les professeurs : modifier les pratiques
À l’autre bout de la chaîne, les enseignants ont subitement vu leur charge leur travail s’alourdir, au moins le temps d’apprivoiser les outils numériques, d’élaborer une nouvelle méthode d’enseignement à distance en adaptant les activités pédagogiques, en modifiant leur progression, en définissant des priorités. Là aussi, il a fallu trouver de nouveaux repères. Pour transmettre des consignes les plus claires et les plus explicites possible, l’enseignant doit se mettre plus que jamais dans la tête de l’élève et anticiper la manière dont il va les comprendre. Lui baliser et lui simplifier le chemin, sans être physiquement à ses cotés, sans voir ce qu'il écrit, note ou dessine, rature ou griffonne, n'est pas une mince affaire. De même l'enseignant a pris conscience de la nécessité de doser travail et délai en fonction de la réalité de la vie familiale de ses élèves.
Parents : s’improviser enseignants ?
L’implicite de la situation n’échappe à personne : les enseignants délèguent à plein temps une partie de leurs missions aux parents : la surveillance des élèves, la gestion de leur travail : réception, réalisation et transmission, ceci dans le cadre de la vie privée.
Les parents se sont emparés de cette mission au prix d’un stress important. Leurs compétences et leur « expertise » varient selon leur propre cursus scolaire. Démunis face à telle ou telle discipline, connaissance ou méthode d’apprentissage, ils vont à la pêche aux explications sur Internet, se perdent dans un foisonnement grandissant de ressources. La culpabilité peut les envahir, devant les difficultés qui s’additionnent. Ils s’inquiètent de la manière dont elles seront prises en compte dans la notation de leurs enfants. Ils le disent : l’école à la maison, c’est deux heures de concentration par jour seulement. Il faut se rendre à l’évidence : les parents ne peuvent pas s’improviser enseignants, et consentir des entorses à cet idéal qu’est la classe à la maison est nécessaire.
Une fin annoncée au 11
mai
La classe à la maison révèle et renforce les inégalités, elle oblige à trouver les moyens de combler les écarts qui se seront creusés, une fois l’épidémie passée. Dors et déjà le Ministère de l'Éducation Nationale prévoit des cours de soutien gratuits au mois d'août. C'est un minimum. La réouverture des établissements scolaires vient d'être annoncée pour le 11 mai, précisément dans le but de mettre un terme aux inégalités générées par l'école à distance. Reste à savoir comment éviter un rebond de la pandémie dans les salles de classes où se serrent les élèves par trentaines depuis des décennies.
Une nécessaire utopie
Toutefois dans ces circonstances exceptionnelles, la classe à la maison a aussi le mérite de maintenir l’éducation pour une grande majorité d’élèves. Effet collatéral : elle bouscule les pratiques traditionnelles en initiant une autre forme d’enseignement que le présentiel, et réinterroge la place et le rôle des parents. C’est également l’occasion de reconsidérer les représentations du métier d’enseignant, et de comprendre que le pédagogue n’est pas seulement celui qui détient le savoir, un savoir que l'on peut aller chercher sur n'importe quelle page d'Internet, mais aussi un professionnel à part entière qui a l’art de le dispenser et de guider les élèves.
Auteure : Claire Legendre. Tous droits réservés.
© ClaireLearning - 13 avril 2020
Crédit photo : photos libres de droit Pixabay
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