Depuis quelques semaines, les enseignants, les élèves et leurs parents sont projetés dans une situation inédite imposée par le confinement dû à l’épidémie de COVID-19 : celle d’inventer et de faire vivre une forme de classe à la maison. Expérience sans précédent, dont la 4ème semaine commence déjà. Avec elle se présente l’occasion de prendre un premier recul.
Tenir sur la durée
La classe à la maison s’est mise en place malgré de nombreux dysfonctionnements ; des rituels ont été instaurés, un rythme de croisière est atteint. Cependant le manque d’interactions sociales, l’absence de motivation extérieure, la confusion entre espace privé et cadre d’étude ainsi que la restructuration de la journée et de la semaine érodent peu à peu les efforts.
L’essoufflement est là, d’autant que la sortie de crise n’est pas encore visible. Chez certains élèves, parents et étudiants, la lassitude et la fatigue se sont installées. Essoufflement ? Le terme est faible pour les parents qui doivent gérer travail ou télétravail avec la classe à la maison de leurs enfants, et les professeurs eux-mêmes parents d'enfants scolarisés.
Vacances ou pas vacances ?
Les vacances de printemps arrivent, qui interrogent les nouveaux rythmes mis en place : faut-il relâcher l’effort et abandonner un temps les nouvelles habitudes, ou au contraire maintenir discipline et régularité ? Comment inventer des vacances à l’heure du confinement : plus de jeux, d’activités physiques, moins de travail scolaire ou universitaire ? Sacrifier ces leçons essentielles du programme ? Et comment résister au soleil qui inonde nos foyers ? Faut-il mettre la "Nation Apprenante" en pause ?...
Un défi de plus dans cette expérience où chaque nouvelle étape pousse familles, enseignants et étudiants à plus
d’inventivité et à une incessante adaptation.
Ces congés « nouvelle formule » sont l’occasion de prendre du recul et de réviser les idées que nous nous faisions de cette situation à ses débuts, situation que nous nous plaisions à imaginer plus brève. Nous en sommes aujourd’hui rendus à devoir envisager que l’année s’achève sans retour en classe.
D’ors et déjà, nous comprenons que l’apprentissage ne sera pas complet, que le programme ne sera pas « fait » dans sa totalité pour de nombreux élèves, et que l’accent est davantage mis sur la consolidation des acquis que sur l'apprentissage de nouvelles notions. Si celles-ci sont toutefois abordées à distance, elles nécessiteront une consolidation ultérieure. Parfois même il n’est plus question de « continuité pédagogique », mais plus simplement, pour les élèves en décrochage ou peu accessibles, de maintenir un lien même ténu avec la scolarité.
Déjà nous nous projetons sur le mois d’août et les propositions de rattrapage avant la rentrée ; il n’est pas utopique de se dire que le retard puisse être comblé plus tard, au cours du premier trimestre de la prochaine année scolaire. Les programmes sont d’ailleurs conçus pour revenir sur de nombreuses notions d’un niveau à l’autre afin de les asseoir solidement avant de les complexifier.
Au-delà de cette année...
Depuis quelques jours, nous savons que l’année 2020 restera dans les annales de l’Éducation Nationale : il n’y aura pas d’épreuve écrite, ni pour le bac ni pour le brevet. L’oral est également supprimé pour le brevet. Car il a fallu anticiper une éventuelle impossibilité de réouvrir les établissements. Contrairement à ce que l'on peut penser, l’absence d’épreuves écrite au bac n’est pas inédite. Elle s’est produite à deux reprises pendant la seconde guerre mondiale : en 1940 face à l’offensive allemande et en 1944 au moment du débarquement. En 1968 les lycées ne passeront que les épreuves orales.
Cette année les diplômes seront donc uniquement délivrés sur la base du contrôle continu, sans les notes obtenues durant le confinement, afin de ne pas creuser les inégalités. Les résultats obtenus après le confinement entreront dans le calcul de la moyenne, si retour en classe il y a.
Une évaluation réaménagée, mais conditionnelle
L’ « engagement » de l’élève durant le confinement sera néanmoins pris en compte. Mais qu’en sera-t-il pour ceux qui n’auront pas eu les moyens techniques de faire entrer chez eux cette école à distance ? Et comment mesurer cet engagement sans évaluer davantage les familles que les élèves ? L'assiduité jusqu’au 4 juillet le sera également - toujours sous réserve d’un retour. Seul l’oral de français en 1ère serait maintenu, à condition que la situation sanitaire le permette, avec un corpus réduit à 15 textes. La note écrite sera celle du contrôle continu.
Jeter un autre regard sur le système éducatif
Les événements bousculent notre modèle traditionnel d’éducation, bien au-delà de cette année scolaire. Nous allons expérimenter, contraints et forcés par les circonstances, un nouveau modèle sans les sacro-saintes épreuves de fin d’année élevées au rang de rites de passage.
Les familles et les enseignants se sont trouvés embarqués dans une forme intensive de partenariat, où la part de chacun auprès des élèves apparaît plus visiblement aux yeux de l’autre, et où les vies et les espaces privés se sont davantage donnés à voir, sur un écran Skype ou Zoom, dans des échanges téléphoniques ou par mail. Les outils numériques subissent l’épreuve du feu, les méthodes pédagogiques sont réadaptées ou réinventées.
Espérons que de cette expérience chaotique naîtra une réflexion de fond susceptible de faire évoluer notre
système éducatif, une lourde machine certes, mais qui a réagi très vite pour tenter de construire une continuité. 2020 n’est pas une année blanche, ni celle qui délivrera des examens au rabais. Elle obéit à des circonstances
exceptionnelles et impensables il y a peu, qui imposent leur logique aux institutions, ébranlent nos certitudes et interrogent notre prétendue invulnérabilité.
Auteure : Claire Legendre. Tous droits réservés.
© ClaireLearning - 6 avril 2020
Crédit photo : photos libres de droits Pixabay
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